- TKATCHEV (P. N.)
- TKATCHEV (P. N.)TKATCHEV PETR NIKITITCH (1844-1886)Issu de la moyenne noblesse provinciale russe, capacitaire en droit, Petr Nikititch Tkatchev est exclu en 1861 de l’université de Saint-Pétersbourg pour sa participation au mouvement étudiant et incarcéré deux mois dans la forteresse de Cronstadt. De 1862 à 1869, il anime le courant populiste tout en publiant sous divers pseudonymes de nombreux articles (droit, économie, statistique, critique littéraire) dans Russkoïe Slovo puis dans Delo . En 1869, à la suite de nouveaux troubles estudiantins et d’une affaire de règlement de compte où trempe son camarade Netchaïev, il est condamné à un an et quatre mois de prison, puis à l’exil dans son village natal. En 1873, il parvient à s’enfuir à l’Ouest. Il collabore avec P. L. Lavrov au journal Vperëd , puis participe avec Bakounine au Cercle slave; il est ainsi en étroite relation avec les deux leaders du populisme. En même temps, Tkatchev continue de publier sous pseudonyme des articles de critique dans la presse de Russie. En 1875, il rompt avec le populisme pédagogiste et antiétatique et fonde, à Genève, avec un groupe d’émigrés russo-polonais, la revue Nabat («Tocsin»). En 1880, après avoir essayé sans succès de transférer son journal dans la capitale russe, il s’installe à Paris, où il écrit dans le journal de Blanqui, Ni dieu ni maître . Atteint de maladie mentale dès 1882, il est conduit dans un hôpital psychiatrique parisien, où il s’éteint quatre ans plus tard.Il y a deux Tkatchev: le critique d’art et le militant-théoricien. Comme critique littéraire, il développe et pousse à l’extrême les idées de Dobrolioubov, de Tchernychevski et de Pissarev. Il exclut toute appréciation «esthétiste» de l’œuvre d’art, qu’il considère comme le produit d’un procès psychologique reflétant les conditions socioéconomiques. Précurseur de la théorie du reflet, il n’admet pour tout critère que le degré de vérité psychologique et sociologique que l’art a pour unique fonction de représenter.En politique, Tkatchev est marqué par l’échec de la Commune de Paris et du mouvement de la «marche au peuple» des étudiants populistes russes dans les années 1870. Plus matérialiste («réaliste») que la majorité des populistes, il reconnaît très tôt que le capitalisme se développe en Russie et que la révolution ne pourra pas faire l’économie de ce stade en misant sur les seuls paysans. Cependant, ces derniers étant communistes «par instinct, par tradition» et l’histoire n’étant pas régie par des lois absolues (refus du mécanisme catastrophiste), il insiste sur l’«obligation d’agir» avant que le développement capitaliste n’amenuise les chances du socialisme. De plus, le substrat économique ne constituant qu’un levier et l’État russe n’ayant pas de base de classe, il croit au rôle des personnalités et à la contingence. Il en vient à exalter le moment politique (stratégie, tactique) plus que l’instance sociale. Tkatchev, disciple des Jacobins et de Blanqui, préconise l’organisation d’un parti de professionnels entièrement tournés vers la prise du pouvoir par la violence. Seule une minorité consciente d’intellectuels révolutionnaires peut, en effet, servir de détonateur à la masse «non civilisée». Cette ligne putschiste et centraliste l’amène à réfléchir sur l’État postrévolutionnaire qu’il s’agira d’utiliser, car la révolution, pour lui, a deux phases: une phase destructive (dé-construction bakouninienne) et une phase constructive.Cette ligne du complot s’imposera dans la deuxième génération populiste russe (groupe Narodnaïa Volia) qui passera du didactisme au terrorisme. Si les marxistes orthodoxes polémiquent durement avec lui (F. Engels, La Littérature des émigrés et L’Europe peut-elle désarmer? ; G. Plekhanov, Nos Divergences ), le bolchevisme s’inspire de ses enseignements pour ce qui est du centralisme démocratique et de la dictature du prolétariat. Lénine le cite abondamment, surtout dans la première moitié de son œuvre.
Encyclopédie Universelle. 2012.